samedi 12 septembre 2015

Presque seul

J'étais à la rue comme un emporté de la vie, comme un chien évadé, comme une solitude qui plane bas pour vivre un peu au son du caniveau. J'étais presque seul, toujours une amie dans ma marche, toujours une parole qui vibre, toujours sa part qui fait signe et un sommeil commun dans les recoins d'ombres.
Elle avait un âge  de vieux marin fini à terre, une face masse, une voix profonde venant des gorges dépotoirs.
J'étais presque seul, perdant et sans laisse. Elle avait toujours une parole qui venait comme un passe temps dans l'ample rue qui ne désemplit pas de torpeurs.
J'étais presque seul parce qu'à côté d'elle, rien ne la touchait de près, elle parlait avec une défense du corps, une raideur persistante, une sale manie salutaire dans la rue...
Elle disait les trucs qui lui venaient dans les hallucinations respirantes pour voir le monde autre à travers de fumeuses envies et les emportements réglés par le vin bien bu et des sommeils d'ivresses.
J'avais un habit noir, une peau tendre et un cœur absent.
Elle me parlait pour tromper sa solitude avec la mienne. Elle trimbalait sa vie dans le dédale de déboires que rien ne parvenait à éclairer.
Machinale et avec un aplomb de dur à cuire, elle s'appuyait d'adresses et de gens humains et ouverts comme des chercheurs d'anges.
Mais entre deux rencontres de ravitaillement, de survies des apparences, il n'y avait pas d'humanité ni de dieux à deux sous à voir dans la pénombre des marcheurs porteurs de fracas.
Juste une misère étalée comme un étendard d'une armée défaite, un relief de silhouettes lourdes qui prennent soin de partir.
 Des fantômes trop vivant pour être prier.
Ma rancœur fortifiée dans l'idylle de la rude vie de la rue me poussait à neuf comme un poisson sorti de l'eau et qui découvre une façon de vivre dans le tourment terrestre et la lumière crue.
J'avais bonnement des écailles sur ma peau de fuyard. La mer m'avait jetée sur le rivage des sauvages.
J'étais hargneux dans une confusion d'exigences. Des souvenirs puissant comme des pelleteuses me creuser la tête d'écarlates effusions. J'avais des cris et des revendications. J'allais dans les jardins, les herbes et les caillouteux espaces.
Mon amie parlementait avec sa folie et ma défiance en lançant sa gaité outrée vers les étoiles que la nuit de la ville cache si bien, cela se faisait dans des froids et des coins reculés.
J'avais des pas à faire sur le macadam si dur et ferme comme une pierre tombale.
Je parlais jamais sans faire longuement silence histoire de me brouiller avec le monde.
Mon amie vivait bien d’aumônes et de saouleries.
Sa voix gravée de mortalités accusés était de tous les avertissements. Elle bombait ainsi sa fierté d'être dans la déchirure.
Elle m'a tenue la main, juste avec son ombre étendue et son débit de dire.
Aujourd’hui je dis ça alors que j'oublie tant. Parce que merci parfois.
C'est ainsi que dans des soirs et des temps arrêtés, ma crapuleuse manière de penser s'apaise.
Vaporeuse la ligne du temps traverse mon crâne encore belliqueux.
J'avale au passage mille cadavre pour ressusciter dans une beauté courte cette aide inespérée et étrange, cet escorte sans lendemain dans un brouillard d'une jeunesse entêtée.
Aujourd'hui mon cœur vit dans le pourtour de ce qui m'a fait.
Mon présent est une présence des autres dans une multitude de sensations.
Je porte tout le vécu de mon âme.

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